Le flou artistique.

L’emploi de cette expression est habituellement péjoratif. La représentation du flou artistique peut en effet signer tout à la fois un désordre, un manque de compétences, de rigueur, d’organisation ; une inaptitude à travailler de concert, de manière coordonnée avec les autres, en équipe et selon la norme établie. Mais est-ce bien le cas ?

Rapportée au domaine de la médiation professionnelle, la sortie d’un conflit passe par l’explicite, la levée d’une certaine ignorance ou incompréhension de la manière dont l’autre fonctionne, pense, s’exprime et agit. L’enjeu consiste alors pour le médiateur professionnel à faire en sorte que les personnes en conflits parviennent à se comprendre, pour ensuite clarifier leur situation ; parvenant à dépasser la complexité de leur nœud de discorde et ainsi parvenir à résoudre leurs démêlés, passant alors de l’opalescence à la clarté, du flou à la netteté de leur relation pour enfin les faire accéder à une solution évidente et partagée.

Je crois cependant que cette démarche rationnelle, pédagogique et d’accompagnement du médiateur professionnel repose sur un second mur porteur, au-delà de la nécessité d’expliquer, de décrire, de préciser, de clarifier et de rendre les choses univoques. Il doit ainsi susciter le questionnement, la réflexion, le lâcher prise, donc faire en sorte de suggérer en plus que de de permettre l’émergence d’éléments de réponses factuels par les personnes elles-mêmes.

Le flou d’une situation, comme celle d’une photo, ouvre la porte à l’imaginaire, à la réflexion, donc à un panel de possibilités dont émergera leur solution au conflit qui les oppose. Je crois, paradoxalement et fortement, que le flou révèle parfois plus de vérités que celle pouvant résulter d’une netteté parfaite, du moins celle que l’on veut bien voir. Le flou a le pouvoir d’être ainsi plus percutant en termes de massage émis, car suscitant un profond questionnement dont émergera en premier lieu l’appropriation de la juste teneur d’une situation. Le flou permettra alors, non pas de savoir, mais de douter pour in fine parvenir à vraiment comprendre, se comprendre, donc accéder à un accord solide.

Paul Eluard a ainsi tout résumé en quatre vers : « Prendre forme dans l’informe / Prendre empreinte dans le flou / Prendre sens dans l’insensé / Dans ce monde sans espoir … ».