La crise de la démocratie française : quelle solution ?

« Dans une démocratie, les institutions doivent se rapprocher autant que possible du gouvernement direct. Il est juste et bon qu’on interroge le peuple par voie directe chaque fois que s’élèveront de graves conflits d’opinions qu’il peut seul résoudre. C’est pourquoi je pense qu’il est indispensable d’introduire dans notre Constitution le référendum ». Cette déclaration à la Chambre des députés date du 4 juin 1888 et émane du Général Boulanger.

Si l’on remonte le temps, comment ne pas également faire référence à Aristote : « dans cette multitude, chaque individu a sa part de vertu, de sagesse ; et tous en se rassemblant forment, on peut dire, un seul homme ayant des mains, des pieds, des sens innombrables, un moral et une intelligence en proportion. Ainsi, la foule porte des jugements exquis sur les œuvres de musique, de poésie ; celui-ci juge un point, celui-là un autre, et l’assemblée entière juge l’ensemble de l’ouvrage » (La politique, III, 4).

Ces deux citations permettent je pense d’aborder le sujet de notre démocratie française, en crise permanente depuis des décennies et qui aujourd’hui tend à se  majorer, telle une réplique de celle qui a fait naître la 5ème République ; crise par ailleurs en miroir de celle dont on affuble notre société, alors que celle-ci porte paradoxalement en elle tous les ingrédients pour avancer et réussir. Sauf que notre système politique est actuellement à ce point bloqué et décalé, tant de ses missions que du peuple qu’il est censé servir, qu’il va jusqu’à en perdre l’usage même de la raison.

Cette crise démocratique majeure, dont nous faisons le constat, est née il y a 20 ans, le 29 mai 2005, à l’issue du référendum sur le projet de Constitution Européenne : les français avaient alors voté « non » à 55%, résultat franc et massif, à contre-courant des partis de gouvernement, tant de gauche que de droite, qui avaient fait campagne « pour » son adoption, révélant déjà une profonde fracture entre la majorité populaire et ses représentants.

Le vrai problème, c’est que ce vote a ensuite été effacé par notre système politique, faisant totalement fi de l’opinion des français qu’il est censé représenter. Ainsi en 2007, le Traité de Lisbonne a été présenté par cette même classe politique – frustrée d’avoir été ainsi désavouée – comme un compromis technique tenant compte du vote des français : en réalité, ce traité, ratifié par la voie parlementaire, était en fait tout simplement une nouvelle version déguisée de la Constitution de 2005, puisque chacune de ses dispositions principales s’y sont retrouvées au mot près. Il s’agit là d’un stratagème grossier, qui a ainsi marqué le démarrage de l’incendie qui brûle la confiance du peuple en ses représentants et qui consume peu à peu la valeur démocratique du vote populaire.

Nos institutions, en soi démocratiques, ont ainsi été utilisées et dévoyées par ces élites lointaines, devenues autoritaires, sourdes et aveugles, imposant leur vues au détriment du choix de la nation. En résulte une défiance écrasante envers elles et plus largement dans les institutions, renvoyant à l’illusion d’une démocratie volant alors en éclats. Sans compter que le Traité de Lisbonne se révèle un carcan juridique et idéologique, privant les états de pans entiers de leur souveraineté et réduisant les marges de manœuvre des hommes politiques, ainsi enlisés dans leurs propres sables mouvants. Cette confiscation de la démocratie par la technocratie européenne est dès lors de plus en plus contestée par les peuples, majorant encore plus la crise interne à la France, issue de ce détournement démocratique.

Il me revient alors en écho cette phrase de Philippe Seguin, ancien ministre, ancien Président de l’Assemblée Nationale, évoquant l’Europe issue de ce Traité : « un état arbitraire et lointain dans lequel aucun peuple ne se reconnaitra ».

La crise démocratique, ainsi constituée et profondément enracinée, ne pourra s’inverser et se résoudre qu’en redonnant directement la parole au peuple. La classe politique en son ensemble n’a d’autre option que de faire confiance aux français, leur permettre d’exprimer librement leur choix et enfin s’engager à en tenir compte, quel qu’il soit, notamment sur des sujets à ce jour inextricable – tel le débat sur les retraites.

Le véritable travail des représentants du peuple ne peut plus consister à confisquer la parole des français : il doit au contraire s’évertuer à analyser les problèmes du pays pour ensuite parvenir à identifier de véritables options de solutions, qu’il s’agira de donner au choix par la voie référendaire. Ainsi, simplifier ce qui est complexe, clarifier la problématique et in fine soumettre un axe explicite de résolution, tel un écho à cette maxime de Nicolas Boileau (poète et critique français du 17ème siècle) : « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément ».

Chaque individu porte sa part d’ignorance, mais ensemble, une intelligence collective se dégage toujours : croyons en cette intelligence collective, croyons en la démocratie directe, qui est la solution principale, préalable et indispensable pour redonner confiance et parvenir à construire durablement un socle commun et une société fondée sur l’entente sociale. La résolution de ce conflit de société passera donc uniquement par le chemin de la liberté d’expression, la reconnaissance des choix ainsi formulés par le peuple, le strict respect de ses choix et l’engagement de les mettre en œuvre.