« L’aventure de la méthode » d’Edgar MORIN.

Sur la couverture de ce petit livre, très riche et très dense en connaissances et réflexions, se trouve un banian : il s’agit d’un arbre particulier, dont les branches et les rameaux, en tombant à terre, se transforment en de nouvelles racines, qui transforment les branches en de nouveaux troncs. Ainsi sont d’emblée représentées  la vie et la pensée d’Edgar MORIN, un très grand sociologue et philosophe de notre temps, qui encore aujourd’hui à 103 ans, sans discontinuer, œuvre à relier les savoirs, pour qu’ils s’alimentent entre eux et en génèrent de nouveaux !

La flagrance de ce livre émane quant à elle de cette citation de KANT, qu’il nous propose en exergue : « Que puis-je savoir ? Que dois-je faire ? Que m’est-il permis d’espérer ? ».

En parcourant ce livre avec lenteur, tant ses propos sont intenses tout autant que clairvoyants, Edgar MORIN nous offre des réponses à ce questionnement multiple. Il s’en dégage presque une vérité, pourtant impalpable voire selon moi inexistante dans l’absolu ; une vérité qui semble cependant apparaître, prendre forme, ouvrant le champ de la compréhension, telle une sorte de brouillard qui en se levant dévoile un paysage inconnu mais tout à la fois évident. Cette découverte s’établit sur les trois préceptes suivants :

Tout d’abord, l’amorce de la vérité est tout simplement en nous et repose sur la liberté intérieure que l’on s’accorde à être authentique avec soi-même. Elle ne dépend de personne d’autre que de soi. Ainsi, apprendre à se connaître, à se comprendre pour mieux comprendre les autres et parvenir à répondre à cette autre question fondamentale, comme une suite logique à celles posées par KANT : qu’est-ce qui est important pour moi ?  

Ensuite, la seule vérité essentielle qui ne peut être remise en cause se résume en la somme des amours que l’on porte en nous, qui nous sont portées et qui seront la seule chose que l’on emportera avec soi, par-delà notre disparition terrestre. J’abonde en son sens et je crois, là encore fondamentalement, qu’être et demeurer vivant n’est possible que par amour ; qu’il est important et fort d’être certain de cette vérité, car elle nous transcende et nous pousse à sans-cesse avancer et nous ouvrir aux autres.

Enfin, l’ultime ébauche de vérité s’avère paradoxale, car elle repose non pas sur une certitude, mais sur le doute face à ce qui nous est imposé, affirmé, face à ce qui est communément revendiqué : le doute engendre en effet la recherche, la curiosité, le questionnement et la mise en lien des connaissances, principes de la pensée complexe, systémique, ouverte, connectant les savoirs et reliant les hommes – telle la source, la solution menant à l’entente humaine. Ainsi éclot le concept d’interdépendance de chaque chose entre elles, de chaque être humain entre eux, telle une perspective infinie et essentielle.

Ces notions de pensée complexe et d’interdépendance, par leur côté non réducteur, nous ouvrent alors les portes de la compréhension. Elles sont ainsi capables de nous relier, de permettre l’entente interpersonnelle et sociale et in fine de nous faire cheminer vers la paix, à l’instar de cette citation d’Albert EINSTEIN : « la paix ne peut être maintenue par la force. Elle ne peut être obtenue que par la compréhension ».

Pour terminer mon propos, je ne résiste pas à vous délivrer cette autre citation d’Edgar MORIN, extrait de son livre, « Les leçons d’un siècle de vie » : « Il n’y a de chance de vie qu’à condition de supporter d’innombrables malheurs, des conflits d’identité, des changements intellectuels et politiques, et ensuite … voler et aimer. » Puis il ajoute : « Pour être béni d’une bonne vieillesse, il faut conserver la curiosité de l’enfance qui ne s’efface pas, l’ambition de l’adolescence qui ne disparait pas, mais sans les illusions qui y sont associées. ». Ainsi est-il convaincu que la vieillesse ne se mesure pas à l’horloge ou au nombre de pages du livre de la vie qui ont été tournées, mais à la profondeur de la sagesse et à la maturité de la pensée acquises en parcourant ces pages.

Que cette sagesse, cette curiosité permanente, cette ambition intacte devant nous prémunir de regretter hier pour sans cesse nous focaliser sur aujourd’hui et demain ; que ces trésors intérieurs dès lors nous submergent, nous relient, nous donnent la force et l’espoir de croire qu’ensemble, tous interdépendants, nous sommes et seront en capacité de sans cesse créer et de faire fructifier une qualité de vie et d’entente sociale, tel un banian.