« Objectif : le bonheur au travail, la méthode danoise » de Meik Wiking.

Ce titre de livre peut paraître totalement décalé, voire absurde pour les Français que nous sommes, si réfractaires à travailler plus de 35h par semaine et plus longtemps dans notre vie en général. Comment ainsi pouvoir envisager d’associer travail et bonheur, quand en 2024 seulement 27% des Français se disaient être épanouis dans le domaine professionnel ?

Aux antipodes de ce résultat, ce sont 66% des Danois qui se disent satisfaits professionnellement, déclarant même pour 58% d’entre-eux qu’ils continueraient de travailler, même s’ils gagnaient 10 millions d’euros au Loto … Dès lors, à quoi cela tient-il ?

Il s’avère que les entreprises danoises ont identifié et intégré depuis fort longtemps quels sont les facteurs déterminant pour permettre l’épanouissement professionnel de leurs salariés. Le premier facteur repose sur le fait de pouvoir invariablement trouver du sens à la fonction que l’on y occupe : avoir notamment le sentiment de contribuer à un monde meilleur, tout en faisant prospérer son entreprise est l’un d’entre eux.

Mais l’essentiel de la satisfaction vécue au travail repose en fait sur plusieurs autres principes, notamment l’autonomie et la liberté laissée aux salariés : ainsi, leur permettre de planifier leur journée, décider de la manière de travailler, de gérer leurs dossiers et de résoudre leurs différents problèmes du quotidien.

Ce principe d’autonomie repose lui-même sur la confiance accordée immédiatement aux salariés, en sachant qu’au Danemark, il s’agit d’une valeur forte, profondément ancrée dans la société. Un employeur croit ainsi immédiatement dans les compétences et la performance de ses salariés, partant du principe que chacun est le mieux placé pour prendre les bonnes décisions dans son domaine d’activité. Le système hiérarchique est ainsi clairement horizontal : le manager est un soutien et non le détenteur d’un pouvoir décisionnaire ; il s’agit d’un interlocuteur avec qui échanger, envers qui il est possible de rechercher de l’aide, sans craindre un jugement ou une sanction.

Chacun se sent ainsi respecté, considéré et responsabilisé. Les salariés osent donner leur avis, prendre des initiatives, être créatifs, tirant dès lors l’équipe vers le haut, car ainsi rendue plus efficace. Le tout offre un cadre clair, tant sur les objectifs de l’entreprise que sur les résultats attendus de chacun, laissant le salarié libre de travailler à sa façon. Quand quelqu’un commet une erreur, la première réaction du manager consiste alors à s’adresser au salarié afin de comprendre ce qu’il s’est passé. Ce soutien marqué et non la recherche principalement à charge d’une faute ou d’une erreur, voire d’un manque de compétence, renforce la sécurité psychologique des salariés et des équipes, sorte de spirale vertueuse pour entretenir et développer la performance et le bien-être au travail.

Ce système débute dès l’école : les enfants n’ont ainsi aucune idée de leur niveau scolaire avant l’âge de 11 ans. Dès lors, ils ne se comparent pas entre eux, ne sont pas en rivalité, mais au contraire sont amenés à s’entraider. L’échec (le sien et ceux des autres) est accepté et vu comme une occasion d’apprendre ensemble. Les élèves sont dès lors responsabilisés et socialisés dès le plus jeune âge. L’apprentissage est adapté au rythme de chacun, sans esprit de compétition : accompagner le développement avec patience permet alors de développer l’estime de soi et la confiance en soi. La compétition que nous connaissons en France dès le plus jeune âge n’existe pas au Danemark, où règne ainsi à contrario une forte coopération, ce qui amènera à l’âge adulte à ne pas se comparer aux autres mais à se centrer sur sa propre valeur et à avoir confiance en l’autre.

La confiance en l’autre s’avère donc la clef de voute régissant la société danoise. Ainsi, 78% des danois affirment faire confiance aux autres, ce qui se manifeste bien sûr au-delà du domaine de l’entreprise. Dans la rue, personne n’a peur de se faire agresser, personne ne craint de se faire voler son sac, de laisser le landau de son enfant à l’extérieur d’un café pour que le bébé fasse la sieste tranquillement. Dans l’espace public, il n’y a pas de tourniquet pour accéder au métro, pas de vigile dans les magasins …etc. Ce climat s’explique par ce fort esprit de communauté : le sens du collectif imprègne ainsi toutes les couches de la société. Selon le sociologue Morten Frederiksen (université de Roskilde, à l’ouest de Copenhague), « un système fondé sur la confiance n’est viable que si chacun joue le jeu ». Chacun a donc la responsabilité de faire fonctionner ce système et d’en prendre soin. « Il est ainsi moralement plus difficile de le trahir en enfreignant les règles, au risque d’être exclu. ».

Pour Gert Tinggaard Svendsen, professeur au département de sciences politiques de l’université d’Aarhus, « les pays scandinaves sont aujourd’hui les moins corrompus du monde parce qu’ils ont lutté efficacement contre la corruption depuis les années 1660 » ! C’est selon lui ce qui a permis au pays de construire un socle de confiance sociale très fort : car « il a été démontré que plus le niveau de corruption d’un pays est faible, plus son niveau de confiance était élevé ». S’ajoute à cela la stabilité politique et économique du pays, majorant la confiance de la population, par ailleurs très peu mixée (15% de la population est issue de l’immigration). A contrario, il indique que « traiter les individus comme s’ils n’étaient pas dignes de confiance est dangereux : cela les pousse à réagir de manière hostile, même s’ils sont fiables ».

Ce livre est une pépite, il secoue fortement, car il décrit un système radicalement opposé au nôtre. Que cet appel à l’entente sociale, à la solidarité, à la qualité relationnelle, aux principes de responsabilité, d’autonomie, de liberté et de confiance fassent écho en nous. Cela ne vous rappelle rien ?