Le dossier des retraites, ou la politique de la terre brulée ?

Alors que dans bien d’autres pays, telle l’Allemagne, les représentants politiques savent dépasser leurs divergences et travailler ensemble sur certains sujets majeurs touchant notamment à l’unité nationale et à l’équilibre social, nous incarnons en France strictement l’inverse. Entre partis politiques, organisations syndicales, associations diverses ou autres collectifs hybrides, nous ne savons invariablement pas dialoguer, nous rassembler et effectuer ce travail consensuel pour le bien commun, dans l’esprit de ce qui devrait nous réunir, à savoir notre devise nationale : « liberté, égalité, fraternité ». Or, nous renions tout élan solidaire et fraternel et balayons le principe d’égalité, au détriment de confrontations opposant divers clans, ainsi montés les uns contre les autres. Quant à la liberté d’expression, qu’en reste-t-il une fois constaté les désordres, les invectives, les vociférations et le flou entretenu, hormis un vaste champ de bataille ?

Le dossier des retraites en est un exemple emblématique : depuis plus de quarante ans, les partis politiques ne savent ainsi qu’uniquement exprimer leur propre doctrine, parfois totalement irréalisable, tel de revenir au départ à la retraite à 60 ans, ceci à contre-courant de tous les autres pays occidentaux ! Tout le monde le sait, mais jusqu’à présent, jamais la classe politique ne s’est unie pour définitivement enterrer l’idée, admettre qu’il ne faille plus en parler et ainsi collectivement expliquer à la nation qu’elle relève d’une réalité purement virtuelle. Or, faire croire en l’impossible est irresponsable et ceux qui le font, insistent, s’entêtent et le crient haut et fort de manière péremptoire, voire insolente, ne sont que des pompiers pyromanes qui ne veulent en réalité jamais éteindre le feu, préférant la politique de la terre brulée plutôt que de concéder d’avoir tort. Les organisations syndicales quant à elles, alors que conviées au dialogue, soit décident d’emblée de ne pas siéger aux discussions, soit claquent la porte dès les premières réunions, soit font le siège et tiennent pareillement leur position, s’attelant, avant même de commencer, à décréter qu’elles ne changeront quoi qu’il advienne pas d’avis et s’opposeront à tout ce qui déborde de leur propositions – d’où les échecs successifs et invariables, donnant libre champ à l’exécutif et faisant ainsi le lit de l’insatisfaction générale. Quant aux citoyens, pris au milieu de ce feu nourri, ils ne peuvent donc plus compter que sur eux-mêmes, leurs représentants syndicaux et parlementaires ayant fait le choix de faire prévaloir leurs dogmes, au détriment du principe de réalité par définition changeant, ainsi que de l’intérêt de ceux qui les ont élus pour relayer leur voie.

Autre constat dramatique : la dernière loi sur ce sujet, à peine votée en 2024 dans la douleur mais cependant conformément aux règles constitutionnelles, a été immédiatement contestée par une frange de parlementaires qui s’avèrent radicalement contre ; incitant à l’insoumission, à la contestation de rue, au soulèvement, donc à l’antiparlementarisme, creusant ainsi la tombe des fondements démocratiques qu’ils sont censées incarner et défendre ; ceci ayant pour conséquence de renforcer encore une sorte de réaction en chaine du mécontentement, tant syndical que citoyen et in fine, une fragmentation profonde de l’unité nationale.

Dernier épisode en date en ce début d’année 2025 : l’idée gouvernementale d’organiser un « conclave » pour revisiter cette loi, donnant mission, voire ordre, aux différents partenaires de discuter et de se mettre d’accord, avec l’engagement de traduire législativement cet accord s’il advenait. Avait été préalablement convenu qu’il n’y aurait aucune ingérence de l’état, hormis de fixer une date limite à la démarche et comme feuille de route une ouverture à toutes les idées et propositions, à condition qu’elles soient compatibles avec le diagnostic de la Cour des Comptes. Une liberté encadrée, un appel au dialogue, à l’entente et à la responsabilité ? Mais c’est bien mal connaître l’état et surtout son administration, qui n’en pouvant déjà plus au bout de quelques semaines de ne pas maîtriser l’affaire, finit par avouer au détour d’un échange avec la presse (dérapage ou déclaration calculée ?) et ceci bien avant le terme échue de ladite procédure, que l’absence de sujets tabous était cependant limitée et que la mesure principale, par ailleurs source initiale de la contestation – à savoir l’âge légal de départ à la retraite – n’est et ne sera pas remis en cause : ou comment appâter les joueurs pour qu’ils acceptent d’entamer la partie de poker et une fois cette partie débutée, rompre les principes de liberté et de confiance en changeant la règle, devenant alors un jeu de dupes !

Le résultat sera une absence d’accord et bien évidemment un statu quo de la loi, conformément à la volonté gouvernementale qui, initialement, ne fit très certainement pas le pari de cette improbable avancé collective, qui aurait été la première du genre ! De cette volte-face et de cette reprise du contrôle, il adviendra une défiance encore plus massive et un niveau d’adversité encore un peu plus accru qu’auparavant. Mais est-ce vraiment sans déplaire aux organisations syndicales elles-mêmes, qui au-delà de faire prévaloir leurs intérêts, savent se satisfaire de la situation, sachant que participer au règlement d’un problème consiste à prendre le risque de voir son « fond de commerce » fondre comme neige au soleil : car à quoi peuvent bien encore servir les organisations syndicales dites contestataires, non réformistes, déjà exsangues et si peu représentatives des salariés, sans problématiques à contester et conflits à nourrir ?

Nous retiendrons de cet exposé que sans liberté et sans confiance, aucun accord n’est effectivement possible ! De même qu’un dialogue imposé et par-dessous tout contraint, biaisé, voire torpillé, mène invariablement à l’échec. La médiation professionnelle a dès lors de belles perspectives devant elle, car sans elle, notre société et sa cohésion seront amenés à tout simplement imploser et disparaître. Encore faudrait-il en prendre collectivement conscience avant l’inéluctable.